Ensauvagement & Rewilding :
Définitions et Usages


Je profite d’une polémique politique actuelle sur l’emploi du mot “ensauvagement”, pour revenir sur l’étymologie de ce terme.
Pourquoi fait-il débat
Je vous présente son histoire, l’évolution de ses usages et surtout son adoption par la sphère environnementaliste
Le rewilding ou ré-ensauvagement !

ENSAUVAGEMENT : ORIGINE & histoire

Étymologie

Ensauvagement est un mot polysémique, dont l’usage est très controversé. Le terme est dérivé du mot ensauvagir (XIème siècle) qui a donné le verbe ensauvager, « rendre sauvage » et l’emploi pronominal s’ensauvager, « devenir sauvage ». Le mot « sauvage » lui, vient du latin silvaticus « fait pour la forêt » et « qui est à l’état de nature ». (source : Wikipedia)

Le Robert historique de la langue française désigne un sauvageon  comme « ermites ou brigands qui vivent solitaires, généralement dans les bois », mais il révèle aussi son usage « pour dénigrer les personnes jugées grossières ».

Dès le XIIème siècle,  sauvage définit les étrangers, les peuples sous civilisés.
Il viendra ainsi s’inscrire dans l’univers de la colonisation. Le terme connaîtra ensuite une évolution mais cet usage ne disparaîtra jamais.

Evolution au fil des siècles

Au XIVème siècle, époque de la Renaissance, on qualifie les natifs amérindiens de sauvages. 

Il prend ensuite différents sens : en 1806, celui de « personne qui par ses actes de sauvagerie évoque les peuplades primitives » et depuis 1960 celui « qui échappe aux règles établies ».

« C’est à partir de ces derniers sens que le substantif “ensauvagement”, dans son emploi actuel, a été forgé », relève Aude-Wirth-Jaillard (chercheuse linguiste et philologue).

Au XVIème siècle, la littérature vient prendre part au débat avec une lignée d’écrivains humaniste, qui prennent le contre pied et développent le terme de « bons sauvages ». On compte parmi eux : Jacques Cartier, Jean-Jacques Rousseau et Montaigne. 

En 1950, on assiste à un renversement du terme, qui est renforcé par le texte sur le colonialisme d’Aimée Césaire.
Qui sont vraiment les sauvages ? 

« Je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie. (…) La colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral. (…) Il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »

Clé d'interprétation de l'histoire européenne

Au XXème, on voit apparaître le concept d’ensauvagement dans les analyses historiques, notamment celles faites sur la culture de guerre qui née lors de la première guerre mondiale, mais aussi celles des génocides contemporains, comme en Afrique.

En 2005 la philosophe Thérèse Delpech publi, L’Ensauvagement : Le retour de la barbarie au XXIe siècle”, où elle expose une interrogation sur le monde actuel et la cruauté qu’il pourrait engendrer.

Ensauvagement : sur la scène politique

« On sait ce que c’est qu’un délit, car un délit est défini par un code. Mais on ne sait pas ce que c’est qu’un sauvageon, qui est un terme blessant. C’est un mot-masque pour définir l’ennemi de la société » déclare Alain Rey (linguiste, lexicographe et rédacteur en Chef des éditions Le Robert), suite à l’utilisation du mot sauvageon par Jean-Pierre Chevènement (ancien ministre de l’intérieur-PS).

Utilisé ensuite par d’autres figures politiques françaises (tous partis confondus), ensauvagement, fait désormais partie du champ lexical de la délinquance, de l’anarchie et du vandalisme

A partir de 2013, l’ensauvagement de la société vient se placer comme argument phare dans le discours de l’extrême droite. 

Et, c’est cet été 2020, que le terme revient sur le devant de la scène. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur français, s’est emparé du mot, suite à plusieurs agressions mortelles : « Il faut stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société ».

De nouveau, l’ensauvagement fait son show et occupe la Une des plus gros journaux !

Le lexicographe Édouard Trouillez estime que « La valeur inchoative du préfixe « en » [dans « ensauvagement »] implique une action durable, un processus évolutif. Il ne s’agit donc pas d’actes ponctuels mais d’une disparition progressive des règles sur lesquelles est fondée la société et de la société elle-même. Un tel vocabulaire est symptomatique. La langue reflète l’air du temps. Qu’il soit jugé pertinent ou non, l’usage de ces mots traduit les angoisses d’une société qui s’interroge sur sa solidité et son avenir. »

De l’usage complexe d’ensauvagement, parlons maintenant de ce terme auquel on a ajouté un deuxième préfixe pour lui donner une toute autre connotation : le ré-ensauvagement.

 

rewilding-reensauvagement-carpates



RÉ-ENSAUVAGEMENT OU REWILDING : PARADIGME ECOLOGIQUE

Les nuances de la langue française en font toute sa subtilité et sa richesse.  

Cela me fait sourire, qu’un mot aussi controversé, suscitant des débats à travers toutes les époques, puisse définir également un paradigme ultra favorable pour la Terre !
Je lui préfère bien entendu cette dernière utilisation, plutôt que les débats stériles de nos politiciens !


Le Rewilding : qu’est ce que c’est ?

« Le ré-ensauvagement vient
remettre en question
notre obsession de contrôler »

Depuis les années 50, des mesures de conservation de la grande faune ont vu le jour. 

Ces actions consistent à réimplanter des espèces disparues et à développer des zones sans activités humaines.
Le grand principe est de laisser se développer la faune et la flore sans intervention humaine pour ramener une richesse et une diversité des écosystèmes. 

Ce concept vient rompre avec les méthodes de conservation habituelles. “On dit souvent de la nature, quel beau théâtre ! Mais où sont les acteurs ?”, explique Paul Jepson scientifique en géographie et environnement de l’université d’Oxford. C’est une nature vide.

La conservation traditionnelle est associée à des paysages contrôlés. On utilise même l’expression “Jardiner la nature”. C’est une approche qui favorise un environnement statique.

Il est primordial de comprendre que la nature est en constante évolution. Il n’est pas possible de la restaurer comme il y a 100 ans. Il est plus judicieux de prendre en compte, suivre son mouvement perpétuel. Des espèces disparaissent et d’autres apparaissent, ainsi va le cycle du vivant. 

Lui redonner de la place, ne plus la déranger et abandonner peu à peu ce processus interventionniste, voilà l’objectif ! 

Pourquoi donc permettre le retour des grands animaux ?

Les scientifiques ont constaté le rôle prépondérant de la mégafaune dans l’accélération des cycles du vivant, à un niveau biologique et biochimique (nutriments des sols par exemple). Ils réactivent les fonctions de l’écosystème qui nous sont essentielles.

Le sauvage réinvestit les lieux et c’est ainsi que les populations s’autorégulent. 

Cet équilibre favorise le retour des autres espèces et impacte l’ensemble de la chaîne alimentaire.

Le ré-ensauvagement vient remettre en question notre obsession de contrôler, de réguler sans même connaître les densités naturelles. C’est pourquoi Gilbert Cochet (naturaliste) relève l’importance des sanctuaires et des parcs nationaux pour pouvoir les observer. Il insiste également sur le fait de “Protéger ce qui est encore intact.” 

 

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Le rewilding dans le monde et en Europe : exemples

Depuis les premières mesures prises en 1950, on compte désormais plus de 17 000 ours qui vivent dans 22 pays.

Un des exemples le plus connu est celui de Yellowstone, parc de l’ouest des Etats-Unis, de plus de 9000 km2, déclaré “réserve de biosphère” par l’UNESCO. Le retour du loup dans les années 1990, y a transformé le paysage. 

Une multitude de plantes, de fleurs et d’arbustes poussent à nouveau. Ils étaient broutés auparavant par certains herbivores, dont les ongulés, qui n’avaient alors pas de prédateurs. Ainsi, on a observé, à nouveau des foules d’insectes et d’espèces d’oiseaux.

Les recherches du scientifique Jens-Christian Svenning (chercheur au département de Bioscience de l’université d’Aarhus au Danemark) sont fascinantes. 

Elles remettent en question l’idée reçue que l’Europe n’était qu’une immense forêt avant l’apparition de l’agriculture il y a 10 000 ans. 
Au contraire, les grands mammifères (de nos jours disparus ou domestiqués), permettaient de façonner des paysages très diversifiés, avec des prairies et des plaines. “Comparables aux savanes africaines”, annonce t-il. 

Au Pays-Bas la réserve de Oostvaardersplassen (ne cherchez pas à le prononcer ;-)), est un véritable laboratoire à ciel ouvert avec une dynamique des populations d’ongulés qui dirigent l’évolution végétale et influencent le retour des plantes et des insectes. Les scientifiques, les considèrent comme les “architectes du paysage”. 

Au Portugal, la réserve de Faia Brava, expérimente favorablement la réintroduction de chevaux et bovins sauvages. Ils ont sélectionné des races de vaches à dé-domestiquer, qui se rapprochent le plus de l’auroch (grandes cornes pour se protéger des loups et hautes sur pattes), ancêtre de nos vaches, qui a disparu. 

En Roumanie, on a réintroduit des bisons au sud des Carpates, espèce emblématique du rewilding. Les arbres peuvent alors atteindre la canopée puisqu’ils broutent les jeunes pousses. On assiste alors à la formation de prairies et à l’apparition de nouvelles plantes et d’espèces.

En Suisse, le parc des Grisons, depuis 1914 observe le retour des cerfs, puis des ours et des loups. 

L’impact est incontestable. Les montagnes déboisées se couvrent lentement de forêt de plus en plus diversifiée. La nature prends son temps, les arbres peuvent grandir et mourir, fournissant plus d’étages, de micro habitats et de bois mort, à une foule de nouvelles espèces.

Les anciens pâturages, entretenus par les cerfs, ont fait place à une herbe rase qui compte deux à trois fois plus d’espèces végétales qu’au moment de la création du parc.

En France, l’Association de Protection des Animaux Sauvages (ASPAS), a mis en place des actions très concrètes : acheter des terrains pour protéger la nature. Par exemple, le site du Grand Barry (130 hectares) dans la Drôme (Vercors) a été acheté par l’ASPAS en 2012.

Sur ces zones ils prônent la libre évolution et la non gestion. Chasse, pêche, coupe de bois et agriculture sont interdites, seule la randonnée est autorisée. 

“Nous créons des Réserves de vie sauvages©, des îlots de quiétude où la nature laissée en libre évolution reprend ses droits”. Ils ont ainsi créé ce label Réserve de vie sauvages©, qui correspond au plus fort niveau de protection de la nature en France. Il se base sur deux principes : la maîtrise foncière et la libre évolution. 

Même en ville, il est possible de créer de tels espaces. Le jardin Saint Vincent est un exemple réjouissant à Paris, au bout du musée Montmartre. Cet espace a été récupéré par la ville dans les années 80 pour en faire une friche urbaine, vierge de toute introduction de la main humaine.

D’une surface d’un hectar, tout y pousse, on observe plus d’une centaine de variétés de plantes et une cinquantaine d’espèce d’animaux. Un vrai observatoire de la biodiversité en pleine ville. Pas de jardiniers, pas de visites, sauf quelques dimanches par an avec des guides spécialisés. 

Petite anecdote qui s’y rattache : La mer à Paris, il y a plus de 45 millions d’années ! Au 19ème, on y a découvert des fossiles de poissons et de crocodiles. Encore une belle indication qu’une terre sauvage ça évolue dans le temps !  

Et pour le reste de l’Europe, on compte encore de nombreux projets comme au Royaume-Uni ou dans les forêts en Pologne.

 

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Quelle est la place de l’Homme dans tout ça ?

« Ce Microcosme
dont je fais
intégralement partie »

Roosevelt avait bien compris l’importance du sauvage pour l’Homme :
« There are no words that can tell the hidden spirit of the wilderness, that can reveal its mystery, its melancholy, and its charm ».

Ce paradigme nous amène à nous questionner sur la place de l’Homme dans cet environnement, sa relation avec la Nature.  

L’ASPAS révèle que “Plus nous rendons à la nature sauvage des territoires où elle peut s’exprimer pleinement et librement, mieux nous retrouvons une place à notre mesure, sans démesure”.
Cette réflexion est pleine de sens et de sagesse !

Aller à la rencontre des autres règnes du vivants, les plantes, les animaux.
Enrichir nos vies, mais pas en biens matériels, simplement une vie plus connectée à nous même, en phase avec nos valeurs et la nature. Un monde intérieur, paisible, riche qui fait échos avec le monde extérieur.

Observer. Être plus attentif à la vie qui nous entoure, pour être attentif aux autres.
Être plus passionné et émerveillé par ce qui nous entoure.
Être curieux.
Être plus engagé physiquement, aller au contact des grands espaces, sortir de sa zone de confort. 

Vous allez me dire :
« Mais en ville comment veux-tu faire ? »

Détrompez-vous ! Les zones de verdures urbaines offrent une diversité de faune et de flore surprenante.

Vous êtes-vous déjà arrêté sur une abeille en train de butiner ? Avez-vous observé les petits coussins de pollen qu’elle stocke sur ses pattes ? Son travail est fascinant. L’aisance avec laquelle elle procède au coeur même de la fleur, tout en délicatesse, sans l’abîmer.
En dix minutes, vous pouvez vous laisser transporter dans le monde de cet insecte et ne faire qu’un avec lui.

Je vous prends cet exemple car cette scène je l’ai vécu, en pleine ville de Genève, entre deux rendez-vous professionnels. Cet instant m’a procuré un tel apaisement, une telle joie que cinq ans après je m’en souviens encore.

Et même dans nos jardins, souvent trop aseptisés, vous pouvez en faire l’expérience.

Chez moi, par exemple, j’ai laissé des zones à l’état sauvage, sous de grands arbres, des zones de sous bois s’y sont développées à l’image d’une vraie forêt. D’autres zones avec des fleurs sauvages, des buissons, des ronces, des orties attirent une faune passionnante, des insectes, des hérissons, des renards, etc. qui aident à l’équilibre de ce petit microcosme dont je fais intégralement partie.  

La régénération du vivant profite à tous, elle nous remet en lien avec nos origines.

Une autre dimension du rewilding est importante pour l’Homme : l’aspect socio-économique pour les communautés rurales en déclin.

En effet, le ré-ensauvagement entraîne le développement du tourisme prônant une “économie de la contemplation”.
Dans les Carpates, par exemple il permet d’observer, de loin, les bisons, un animal que peu de gens ont eu la chance de rencontrer jusqu’à présent.
 

A travers cet article, vous avez découvert un nouveau paradigme de l’environnement, mais aussi l’évolution d’un mot au fil des siècles. Comment d’un usage peu flatteur, il peut aussi définir un message d’espoir pour notre monde !


Pour une explication en image du
Rewilding, je vous conseille ce documentaire d’ARTE, dont j’ai tiré beaucoup de mes sources. « L’Europe à la reconquête de la Biodiversité », encore disponible gratuitement jusqu’au 17.02.2021. La vidéo se trouve ci-dessous: 

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